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LE TIR MAGIQUE DE TONY PARKER
Le Lundi, 11 Février 2013 par Mathieu Le Maux & Jérémy Patrelle
Elu joueur du mois de janvier dans la conférence Ouest, Tony Parker réalise sans doute sa meilleure saison en NBA. Décryptage de son shoot fétiche, le «tear drop», geste qu'il est le seul à maîtriser.
Voilà une fulgurance que la NBA n’avait pas vu venir. En octobre 2001, Tony Parker, 19 ans, fait ses grands débuts sous le maillot des Spurs de San Antonio. Impressionnant d’aisance et de précocité, le meneur de jeu français s’impose au sein du cinq majeur texan et devient le plus jeune titulaire à ce poste de l’histoire de la ligue. Mais il va faire mieux. Très vite, « TP » signe ses performances d’un geste « maison », qui deviendra un label – fait rarissime, surtout pour un joueur étranger – dont il est le seul à maîtriser la mécanique : le tear drop (« larme qui tombe » en français).
Ce tir en cloche tout en finesse, à rapprocher de la « feuille morte » au football ou de l’amorti en tennis, lui permet d’éviter les contres des gigantesques intérieurs du basket américain, qui restent alors impuissants. Les commentateurs NBA n’en reviennent pas : « Qu’est-ce que c’est que ce truc ? ! », crient-ils à l’antenne. « Ce shoot existait déjà en NBA durant les années 1950-1960. Un autre temps !, raconte Jacques Monclar, ancien joueur international entre 1978 et 1988, aujourd’hui consultant pour Canal + et RMC. Il a ensuite été mis au ban car d’autres techniques étaient en vogue comme l’explosion vers le cercle ou le shoot à mi-distance… »
« TOUT SE JOUE SUR SA VITESSE »
En préambule de ce tir, une action au mode opératoire exécutée à une vitesse folle. « Tout commence par la prise d’information, poursuit Jacques Monclar. Tony est meneur donc c’est lui qui “lance” les actions et observe le placement adverse. S’il n’y a personne en poste haut, il peut donc jouer son un-contre un. Il ne va pas vite à ce moment-là. Puis subitement, sur trois mètres, il met un coup de booster terrible. »
À cet instant, le leader de l’équipe de France est très bas sur ses appuis. Et comme c’est l’un des joueurs les plus rapides de la ligue balle en main (chronométré à 33 km/h par la NBA), cette double qualité lui permet de remporter la grande majorité des duels un-contre-un qu’il dispute. « Il est comme un aéroglisseur : il va vite en étant bas, compare Jacques Monclar. Et pour réaliser parfaitement ce shoot, la vitesse est plus importante que la détente. »
Boris Diaw, son ami de toujours et coéquipier aux Spurs, confirme : « Tout se joue sur sa vitesse. » Une fois passé le premier défenseur, Tony Parker déclenche son tear drop : une feinte gauche (« reverse »), une prise d’appuis simultanés qu’il est à ce jour le seul à exécuter. « Puis il s’élève et lâche son “floater” (“ballon flottant”) », commente Boris Diaw. « C’est une action parfaite. Il y a prise d’information, tactique, un petit dribble droite-gauche et ce drop final… Fabuleux », conclut Jacques Monclar.
SOUVENT COPIÉ, JAMAIS ÉGALÉ
Aux origines du geste, on trouve la génétique du joueur – Tony Parker est « petit » dans son corps de métier (1 m 88) –, et la culture européenne du basket davantage basée sur l’utilisation des appuis et de la vitesse que sur la puissance physique. « Tony a vraiment utilisé ce shoot en arrivant en Pro A, raconte Boris Diaw. Comme il était plus petit, il a dû trouver une combine pour s’adapter face à des joueurs plus grands. » Jacques Monclar découvre ce geste lors de la première saison pro de Parker au PSG Racing, en 1999 : « Quand on l’a vu faire ce tir, nous nous sommes tous regardés : “Mais comment fait-il ? !” Nous l’avons observé encore et encore et nous avons compris : il est bas, il est rapide, prend vite ses appuis et contrôle. »
Aujourd’hui, le tear drop est son atout majeur. Un tir qui n’appartient qu’à lui, même si beaucoup de joueurs, et non des moindres (LeBron James, ailier du Miami Heat, Kobe Bryant, arrière des Los Angeles Lakers) tentent de le copier. Sans jamais parfaitement l’égaler. Le seul à s’en approcher est l’Espagnol Juan Carlos Navarro, à la différence près que le Barcelonais le réalise avec des appuis alternatifs.
PERSONNE N'A TROUVÉ LA PARADE
Aujourd’hui, les seuls à pouvoir se targuer d’avoir imité le maître sont… les fans de jeux vidéo. Sur NBA 2K12, référence du jeu de basket-ball, les gamers peuvent acheter le tear drop. Reste ensuite à assimiler une combinaison de boutons compliquée pour réussir le panier. Virtuellement… Mais pourquoi les stars du basket font-elles preuve d’autant d’acharnement ? Parce que cette figure de style n’est pas qu’une simple coquetterie. Tony Parker en a fait une arme décisive dans un sport très attaché à la statistique individuelle. S’il est bien travaillé, ce shoot est très sûr car, en basket, il est plus facile de tirer en avançant qu’en reculant. Les passionnés du jeu n’hésite pas à le comparer au sky hook de Karim Abdul-Jabbar, le fameux tir imparable. La différence étant que Tony est de face alors que Jabbar était de côté… et faisait 2 m 18 !
« Il doit tourner à 70-75 % de réussite sur le tear drop, ce qui est énorme, explique Jacques Monclar. Tony a une adresse naturelle sur ce shoot alors que le shoot n’est pas vraiment son fort. Cela fait de lui un des rares meneurs de NBA qui joue en pénétration et en vitesse et capable de flirter avec les 50 % de réussite au tir. » Le phénomène dure depuis onze saisons. Ses adversaires le voient venir, sans jamais trouver la parade. Boris Diaw : « Comment le contrer ? Je ne devrais pas vous le dire, je suis dans son équipe ! Le truc, c’est de réduire au maximum la distance entre lui et vous. Mais sans être trop près non plus, pour deux raisons : soit il vous contourne sur sa vitesse et n’a plus besoin de son tear drop, soit vous faites faute. C’est très compliqué. Il est quasiment inarrêtable. Surtout qu’il sait le faire dans toutes les positions, même déstabilisé dans les airs… Je me suis souvent retrouvé face à lui et à chaque fois, sur cette action, ça a été une galère. Heureusement, je n’ai plus à me poser la question ! »