http://www.basketusa.com/videos/37455/penny-hardaway-money-for-nothing/
Penny Hardaway, money for nothing
Par Mondial Basket, 3 juillet 2010
Le nouveau Magic Johnson pour les uns. Le nouveau Michael Jordan pour les autres. Au milieu des années 90, Anfernee Hardaway fait rêver tous les jeunes Américains.
Son duo avec Shaquille O’Neal doit mettre la NBA sans le joug du Magic d’Orlando. Penny est le seul à pouvoir regarder « MJ » dans les yeux. Son règne est annoncé. Il prendra fin avant même d’avoir commencé, avec le départ du Shaq chez les Lakers en 1996…
Printemps 1991. Anfernee Deon Hardaway et son cousin rendent visite à un parent. Ils sont à proximité de la maison quand une voiture bleue s’arrête à leur niveau. Juste le temps de se dire que c’est le même véhicule qu’ils ont déjà croisé trois fois sur leur chemin que les quatre occupants de l’Oldsmobile sont sur eux. La joue écrasée sur le trottoir humide, Anfernee sent la froideur d’un revolver sur sa nuque. Une minute plus tard, paire de baskets, bague et chaîne en or en moins, le jeune homme n’en revient pas : il est toujours vivant ! La voiture des braqueurs s’éloigne pendant que l’un d’entre eux balance trois coups de feu. La dernière balle ricoche sur le sol pour finir dans la cheville d’Anfernee.
« Depuis cette nuit-là, j’ai arrêté de penser à l’avenir pour me contenter du présent. Tout peut s’arrêter si vite… »
Après avoir passé sa première saison universitaire sur le banc en raison de mauvais résultats scolaires (proposition 48 = sanction de la NCAA), la petite merveille de Memphis voit une nouvelle fois sa carrière en suspens. Heureusement, la balle n’a pas fait de dégâts irrémédiables au niveau du pied. Quatre mois plus tard, Anfernee peut mener le jeu de Memphis State University (devenue en 1994 l’université de Memphis). L’Amérique et la NCAA vont entendre parler de Penny et de ses Tigers.
Né dans la ville d’Elvis Presley le 18 juillet 1971, Anfernee a été élevé par sa grand-mère, Louise. Son père n’a fait que « passer ». Sa mère, quant à elle, a dû quitter la ville pour rejoindre son futur mari. L’enfant était si mignon que « Gran’ma » le surnomma « Pretty ». Déformé par l’accent du Sud, le surnom devint « Penny » (centime). Louise, consciente des dangers du quartier, se donna une priorité : préserver son petit-fils.
« Il était hors de question que je sèche des cours. Je devais être rentré tous les soirs à 19 h. Aujourd’hui, je comprends pourquoi », commente Anfernee.
Les enfants qu’il voyait traîner dans la rue, tard dans la nuit, ont déjà leur vie derrière eux. Le seul message de Louise qui ne passe qu’à moitié concerne l’efficacité scolaire.
« Je ne pensais qu’à une chose en me rendant à l’école tous les jours : le basket. J’y jouais à la moindre occasion, sans penser au fait que mes mauvaises notes pouvaient freiner ma carrière. »
Comme beaucoup de sportifs en herbe outre-Atlantique, Penny veut devenir footballeur américain. Mais « Gran’ma » dit non. Elle redoute les blessures inhérentes à la pratique d’un jeu violent par essence. Pour le basket, pas d’interdit. Et sa notoriété s’étend très vite au-delà de son quartier de Binghampton. Repéré par George Lapides, un reporter sportif émérite, lors d’un tournoi de lycéens, Penny devient une gloire locale. Lapides s’était déplacé pour voir Elliott Perry, un senior de la Treadwell High School vu en NBA entre 1991 et 2002, mais c’est Hardaway qui lui tape dans l’œil.
« Il ne voulait pas faire d’ombre aux autres »
« On était là pour Perry. Et d’un coup, on a aperçu ce gamin avec une tête de joueur de poker… Penny était beaucoup plus jeune que les autres mais il avait un sens inné du placement, il était toujours au bon endroit au bon moment. Physiquement, il ressemblait à n’importe quel garçon un peu maigrichon mais on voyait qu’il avait du talent. Le truc un peu bizarre, c’est qu’il avait toujours tendance à vouloir masquer ses aptitudes, comme s’il était gêné et qu’il ne voulait pas faire d’ombre aux autres. Il était clairement meilleur que n’importe qui sur le parquet, à l’exception d’Elliott. »
Le nom de l’intéressé dépasse les frontières de l’Etat. Pour sa dernière saison de high school, il est élu lycéen de l’année par « Parade Magazine », un magazine national. Ses stats durant son année senior : 36.6 points, 10.1 rebonds, 6.2 passes, 3.9 interceptions, 2.8 contres… Ça calme ! Problème : ses notes lui interdisent de fouler les parquets NCAA. Seul MSU – la fac la plus proche, puisqu’il a grandi à 10 minutes – prend la responsabilité, très controversée, de lui offrir une bourse. Ne jouant pas, Hardaway met un point d’honneur à rendre un carnet scolaire tout à fait honorable. C’est même le meilleur de l’équipe.
« Miraculé » après sa frayeur du printemps 1991, Penny emmène les Tigers à un match du Final Four (défaite 88-57 contre Cincinnati dans l’Elite Eight) pour sa première saison avec Memphis.
« Anfernee est devenu notre go-to-guy le jour même où il a mis les pieds sur le campus », raconte Tony Madlock, senior chez les Tigers cette année-là. « Nous savions dès le départ qu’il avait quelque chose de spécial. Un 6-7 arrière qui pouvait passer, scorer, défendre… Wow ! C’est l’un des joueurs les plus classe que j’ai vus à l’œuvre. »
« Vous ne voyez qu’un seul Penny Hardaway par paquets d’années, même dans les plus grandes écoles », reprend George Lapides. « Les fans venaient à la Pyramid à chaque match en espérant voir un truc qu’ils n’avaient jamais vu auparavant. Souvent, c’était le cas. »
Les 17.4 points, 7 rebonds et 5.5 passes par match de Penny, ajoutés à sa taille – les meneurs de 2,01 m (pour 92 kg) ne courent pas les rues -, ne laissent pas indifférent le comité de sélection de la « Dream Team » qui le retient avec quelques stars universitaires pour servir de sparring-partner aux illustres aînés appelés à représenter la Nation durant les J.O. de Barcelone 1992. Aux côtés de Penny, on retrouve notamment Chris Webber, Jamal Mashburn, Rodney Rogers, Grant Hill, Allan Houston et Eric Montross qui est alors un pivot tout à fait respectable. En plus de ses contres sur Clyde Drexler et Karl Malone, de ses interceptions sur Charles Barkley et Scottie Pippen, de ses 15 points en 12 minutes avec un défenseur nommé Michael Jordan sur le dos, Anfernee rencontre un certain Magic Johnson.
« Quand je l’ai surnommé « le roi des triple-doubles », il a souri et m’a dit : « Tu peux en faire autant. Fais-en ton objectif à chaque fois et concentre-toi là-dessus. » Depuis, je ne pense qu’à cela. »
De retour sur Terre, Penny envisage d’aller chercher le titre NCAA. Mais la grave blessure au genou de l’ailier David Vaughn, avec lequel il formait un magnifique duo, empêche les Tigers d’aller au bout. Ses chiffres sur la saison 1992-93 – 22.8 points, 8.5 rebonds, 6.4 passes, 2.4 steals, 1.2 contre – en font l’une des toutes premières recrues pour la NBA. A son crédit également, deux triple-doubles, combinaison mathématique à laquelle la NCAA n’est pas spécialement habituée. En tournant dans le film « Blue chips » quelques jours avant la draft 1993 (Nick Nolte figure aussi au casting), Penny fait la connaissance de Shaquille O’Neal, premier choix de la promo 1992 sous les couleurs d’Orlando. Entre les prises, les deux hommes tuent le temps en tripotant le ballon.
« J’ai très vite vu qu’il était spécial. J’ai appelé plusieurs dirigeants du Magic pour leur conseiller de prendre Penny », se remémore le Shaq.
Le soir de la draft, il est hué par 10 000 fans
Hardaway renonce à effectuer son année senior en college pour se présenter à la draft en juin 1993. Un an plus tard, la fac de Memphis retirera son maillot n°25. Plusieurs sites et revues spécialisés dans le basket universitaire en font l’un des meilleurs joueurs de college de tous les temps.
« Autant je déteste voir des basketteurs quitter le college trop tôt, autant je devais me rendre à l’évidence : Hardaway était prêt pour la NBA à cet instant précis », commente George Lapides.
Récipiendaire du premier choix de la draft 1993, Orlando retient Chris Webber pour l’échanger contre Anfernee, choisi en troisième position par les Golden State Warriors. Les 10 000 spectateurs présents à l’Orlando Arena pour suivre la retransmission de la journée de sélection sur écran géant sifflent l’échange.
« Je savais que je pouvais conquérir les fans avec mon jeu », confiera le drafté non désiré. « Memphis State n’était pas une équipe qui passait souvent à la télé, comme Michigan ou Kentucky. Même si on m’avait élu First Team All-American, ils ne savaient pas vraiment qui j’étais et ils ne faisaient pas confiance au jugement du Magic. »
Après avoir signé un contrat de 65 millions de dollars sur 13 ans, Penny règlera très vite ses comptes avec le public local. Quelques bonnes prestations, surtout à l’extérieur, prouvent son potentiel. Contre Golden State et Chris Webber, pour le dixième match de la saison, le numéro 1 du Magic met tout le monde d’accord avec 23 points, 8 rebonds, 5 passes et 2 contres… A 22 ans, Anfernee rejoint le Shaq dans le cœur des fans d’Orlando. Le coaching staff a eu la bonne idée de faire démarrer « le nouveau Magic Johnson » en position d’arrière shooteur pour lui éviter la pression qui pèse sur les épaules d’un rookie bombardé meneur titulaire. En 2, son adresse, sa vitesse, sa vivacité, sa densité physique et sa détente explosive lui donnent des faux airs de Michael Jordan.
Mais de plus en plus, Penny dirige la manœuvre, dribblant comme on joue avec un yoyo, passant comme un magicien. C’est un authentique all-around player (20 pts et plus, 5 pds et plus, plus de 51% aux tirs entre 1994 et 96) et il faut comprendre qu’au début de la décennie 90, un basketteur avec un profil comme le sien est hyper rare. C’est un manieur de balle hors pair, doté d’une vision du jeu extra lucide et d’un Q.I. basket nettement au-dessus de la moyenne. Il n’a pas peur de prendre les tirs chauds bouillants ni de s’en remettre à un coéquipier ouvert. Avec sa taille, sa vélocité et sa polyvalence, Hardaway met les arrières adverses au supplice. C’est un intercepteur redoutable. Il rappelle tantôt Michael Jordan par la précision chirurgicale de ses frappes, tantôt Magic Johnson par son gabarit et sa dextérité balle en main. Surdoué de la balle orange, prototype de l’arrière moderne, le jeune prodige du Magic sera une source d’inspiration pour une génération entière de basketteurs, parmi lesquels Tracy McGrady (qui reprendra son numéro de maillot), Gilbert Arenas ou LeBron James. Même chez les plus jeunes comme Tyreke Evans, Hardaway compte des fans de la première heure.
Une marionnette synonyme de gloire
En termes de médiatisation ou de marketing, le Penny du milieu des années 90 n’a rien à envier au Kobe Bryant d’aujourd’hui. Il n’a pas les titres de « Black Mamba » mais il est autrement plus populaire. Anfernee est l’idole des ados, qui le préfèrent désormais à Sa Majesté Jordan. On s’arrache les Air Penny. La Lil’ Penny fait un méga carton (n°1 des ventes) avec un spot astucieusement articulé autour d’une marionnette – son alter ego – à laquelle l’humoriste Chris Rock prête sa voix (la vidéo est visible à cette adresse). Tous les gamins d’Amérique garderont ces images en tête. Non, les puppets à l’effigie de LeBron James et Kobe Bryant ne sont pas une création originale…
De cette période dorée pour Orlando, Dwight Howard nous avait confié ne garder en mémoire que les pubs dédiées à la vedette du backcourt floridien. Avec les superstars, les bonnes idées publicitaires ne manquent généralement pas. Pour Penny, golfeur à ses heures perdues (handicap 10), ce fut le logo « 1 cent » incrusté sur deux modèles de chaussures (Nike 1/2 Cent et Nike Air Foamposite One). La firme au swoosh se frotte les mains : l’après-« MJ » semble assuré. La NBA, elle aussi, se frotte les mains : à en juger par cette année 1995 qui voit le Magic accéder aux Finales en passant sur le corps de Chicago – avec Michael Jordan sur le parquet suite à sa parenthèse baseball -, il y a une vie sans « MJ ». En s’appuyant sur le duo Hardaway-O’Neal, Orlando veut croire qu’il pourra voyager loin. Si c’est le cas, Anfernee ne risquera plus de se retrouver face contre terre.
Durant l’été 1996, il a carrément le monde à ses pieds. Le sweep subi contre Houston au printemps 1995 en Finales ? Le prix à payer pour apprendre. Le 4-0 infligé par Chicago en finale de Conférence Est 1996 ? La prime à l’expérience et à l’excellence. Michael Jordan est au zénith. Mais il ne sera pas éternel… Penny a 25 ans le 28 juillet. Il vient d’être deux fois All-Star. Deux fois, il a été retenu dans la All-NBA First Team. Avec la « Dream Team III », il sera sacré champion olympique à Atlanta. L’avenir lui appartient. Forcément. Sauf que… Sauf que Shaquille O’Neal claque violemment la porte et que la carrière du numéro 1 bascule à tout jamais à ce moment précis, comme la destinée d’une franchise où le fantôme du « Diesel » rôde encore quelquefois. N’est pas « Superman » qui veut. Dwight Howard l’apprend à ses dépens.
Retour en 1993. Penny Hardaway démarre la saison en 2 avant de récupérer la mène, précédemment confiée à Scott Skiles. MVP du premier Rookie Game de l’histoire, disputé à Minneapolis en 1994, il aide le Magic à dépasser la barre des 50 victoires en saison régulière (57, une première) et à se qualifier pour les playoffs. C’est aussi une première pour une jeune franchise qui souffle alors ses cinq bougies. Orlando ne fait pas le poids face à Indiana (3-0 au premier tour) mais Penny, crédité de 16.6 points, 5.4 rebonds et 6.6 passes de moyenne, s’invite dans le premier cinq rookie. Peut-être vexé par l’attribution du titre de Débutant de l’année à « C-Webb », Hardaway muscle son jeu et évolue dès la saison suivante sur une autre planète (20.9 pts, 4.4 rbds, 7.2 pds, 1.7 int).
En cette année 1994-95, c’est le seul joueur de la Ligue à rapporter plus de 20 points et plus de 5 passes tout en shootant au-dessus des 50% (51.2). Titularisation au All-Star Game, citation dans le premier cinq All-NBA, meilleur bilan à l’Est… Après seulement deux années dans la Ligue, l’enfant du Tennessee fait l’unanimité. Adoré par les fans, adoubé par les spécialistes. C’est peut-être trop, trop tôt. Hardaway est un jeune homme impatient. On lui a promis la Lune. Croit-il son heure venue ? C’est le seul à pouvoir défier « His Airness » en le regardant dans les yeux. Au lendemain du 4-2 infligé aux Bulls en demi-finales de Conférence, peu doutent de l’avènement imminent du one-two punch le plus excitant de la Ligue. Les compères se retrouvent en Finales NBA face aux Rockets, champions sortants (Orlando est la deuxième équipe la plus jeune de l’histoire à atteindre ce stade). Penny et Shaq, c’est l’association de la grâce et de la force brute. Penny mitraille à distance, O’Neal démolit et déblaye la raquette. La formule a toujours fait mouche. Mais une Finale NBA peut basculer sur un exploit venu de nulle part comme sur un détail en apparence anodin. Le détail en question, ce sont les quatre lancers francs loupés par Nick Anderson dans les dernières secondes du Game 1, qui flingueront la série (sweep pour Houston) en même temps que sa carrière. A titre personnel, Penny n’a pas grand-chose à se reprocher (25.5 pts, 4 rbds, 8 pds sur quatre matches). Mais déjà, quelque chose cloche à Disneyworld.
Shaq blessé au coup d’envoi de l’exercice 1995-96, l’arrière floridien doit prendre ses responsabilités au scoring. Année pleine pour l’intéressé (21.7 pts, 4.3 rbds, 7.1 pds) qui termine troisième dans l’élection du MVP derrière Michael Jordan et David Robinson. Pour la deuxième année de suite, Penny s’est affiché à plus de 20 points, plus de 5 passes et plus de 50% aux shoots. Orlando aborde les playoffs nanti du troisième meilleur bilan de la Ligue derrière Chicago et Seattle (60 victoires). La vérité éclate : une classe d’écart sépare l’équipe du coach Brian Hill de celle qui vient de signer la meilleure saison régulière de tous les temps (72-10). En finale de Conférence Est, les Bulls pulvérisent le Magic (4-0).
Penny-Shaq, divorce consommé
La paire Penny-Shaq est de l’aventure des Jeux Olympiques d’Atlanta, avec une médaille d’or à la clé, mais le divorce est consommé. Free-agent, O’Neal menace de plier bagages. Côté excuses, tout y passe. Orlando ne propose pas assez… Penny tire trop la couverture à lui… Il n’y a pas que le basket dans la vie : le rap et le ciné, c’est bien aussi… La nouvelle tombe finalement pendant les J.O. : le « Diesel » file à l’Ouest après s’être vu offrir le plus gros contrat jamais proposé à un basketteur NBA : 121 millions de dollars sur 7 ans. Le divorce est prononcé avec perte et surtout fracas. Les explications du néo-Laker restent confuses, fumeuses. Avec le Shaq, il est aussi question d’ego. Visiblement froissé d’avoir eu à partager sa gloire naissante avec un jeune blanc-bec insolent de réussite, O’Neal rejette la responsabilité de cette séparation sur la direction et le staff du Magic. A ses yeux, la première est coupable d’avoir mégoté sur la question des pépettes. La seconde d’avoir refilé les clés du camion à un crack de pacotille. Qui se trouvait être, aussi, le seul joueur de l’équipe susceptible de lui faire de l’ombre…
Ce scénario, on le connaît bien maintenant. Il s’est reproduit lors du départ de Shaq à Miami en 2004. Jerry Buss, le proprio des Lakers, avait le tort de compter ses ronds, Kobe Bryant de bouffer la balle. A posteriori, la répétition des événements sème le doute. Shaq n’était peut-être pas le pivot d’exception bêtement snobé qu’il décrit. Peut-être a-t-il estimé en son âme et conscience, en cet été 1996, que ce duo n’avait pas d’avenir. L’histoire lui donna raison. Pour Shaq, quatre bagues de champion NBA. Pour Penny, ce jugement assassin formulé au début de l’année 2005. L’image renvoyée par Shaq est trompeuse. Le « Diesel » n’est pas un gentil géant un peu naïf ni un gros bourrin, c’est un homme d’affaires avisé qui sait s’entourer, placer ses billes et défendre ses intérêts. Hors business, il aime s’amuser et faire la fête. Boris Diaw, qui l’a longuement côtoyé à Phoenix, nous disait combien le Shaq savait détendre l’atmosphère. En ce début d’année 2005, donc, il prouve une fois encore son sens de la formule. O’Neal a côtoyé Penny Hardaway, Kobe Bryant et Dwyane Wade (LeBron James, pas encore). Une comparaison aussi drôle que cruelle lui vient à l’esprit quand on l’interroge sur ces trois associations avec des guards d’exception.
« Je crois que la réponse est dans la trilogie du « Parrain ». L’un est comme Sonny (ndlr : l’un des trois fils de Don Corleone, incarné par Marlon Brando). Trop bête pour garder le contrôle. Mais il fera tout pour et vendra son âme. L’un est comme Fredo. Vous ne pouvez pas vraiment lui passer le relais parce qu’il n’est pas très malin. Il croit qu’il est intelligent mais il ne l’est pas. Le dernier est Michael Corleone. C’est un gars humble et vraiment mature. C’est à celui-là que vous transmettriez le pouvoir. »
Michael Corleone ? Dwyane Wade. Sonny ? Kobe Bryant. Fredo le benêt ? Penny Hardaway… Quoique… Peut-être faut-il voir Kobe en Fredo et Penny en Sonny. C’est peu dire que l’association de ces deux-là aura fait des étincelles. Penny et Shaq étaient deux « rising stars », deux étoiles montantes. Rien ne devait leur résister. 1996 restera à jamais comme une date sombre pour Orlando. O’Neal file chez les Lakers où il sera couronné quatre ans plus tard. Hardaway – il l’ignore encore – a loupé son rendez-vous avec l’histoire. Pour toujours.
Au coup d’envoi de l’exercice 1996-97, Penny se retrouve donc seul maître à bord. Le roster est limité (Rony Seikaly, Dennis Scott, Nick Anderson, Gerald Wilkins…). Une expérience éprouvante connue par tant d’autres avant lui et après. « T-Mac » y eut droit. Kobe y eut droit. LeBron y a droit. Et tous comprirent que la présence d’une superstar comme le Shaq dans ses vertes années simplifiait terriblement les choses… Sans un intérieur dominant démarre la longue complainte du scoreur solitaire. Hardaway loupe 23 matches sur blessure mais il démarre le All-Star Game pour la troisième fois. En cours d’année, il obtient la tête de Brian Hill (là naquit sa réputation de « coach killer » doublé d’un égoïste pourri gâté). Avec 20.5 points, 4.5 rebonds, 5.6 passes et 45 victoires en saison régulière, le numéro 1 floridien doit se contenter d’une citation dans la All-NBA Third team. Le premier tour des playoffs voit un vrai morceau de bravoure : à 2-0 pour Miami, Hardaway sort deux matches à 42 et 41 points et donne des sueurs froides à Pat Riley, peu habitué à voir ses défenses ainsi malmenées. Il rajoute 33 points dans le Game 5 mais le voisin floridien trace sa route (91-83). Sur cette série, Hardaway a tourné à 31 points, 6 rebonds et 3.4 passes.
Le « Backcourt 2000 » fait pschitt…
Une grave blessure au genou gauche requiert une intervention chirurgicale et limite sa saison 1997-98 à 19 matches. Preuve d’une popularité intacte, l’arrière du Magic est désigné pour la quatrième année All-Star starter (6 pts, 3 pds à New York). On lui reproche de précipiter son retour : une semaine après le break de la mi-février, il doit mettre un terme à sa saison… Ce genou gauche, il devra le faire opérer à quatre autres reprises durant le reste de sa carrière. Peu à peu, le bistouri aura raison de son explosivité, de sa vitesse et de sa détente. Au sortir du lock-out, on n’en est pas encore là. Le Magic poste le meilleur bilan de la saison régulière à l’Est (ex æquo avec Miami et Indiana) mais se fait surprendre par Philadelphie au premier tour des playoffs (3-1).
Penny a porté pour la dernière fois le maillot d’Orlando. Au cours de l’été suivant, il est envoyé à Phoenix contre Danny Manning, Pat Garrity et deux premiers tours de draft. Sur la table, un contrat royal : 86 millions de dollars. John Gabriel, GM du Magic, proposait d’égaler l’offre mais Anfernee jugea un changement de décor salutaire. Dans l’Arizona, les esprits s’échauffent : pour beaucoup, le duo Jason Kidd-Penny Hardaway est le backcourt de l’an 2000. Ce « Backcourt 2000 » doit, paraît-il, révolutionner l’histoire de ce jeu… Dans un premier temps, ils doivent se contenter de 45 matches ensemble : le premier est blessé à la cheville et le second au pied. Sur 60 matches, Penny, désormais âgé de 28 ans, tourne à 16.9 points, 5.8 rebonds, 5.3 passes et 1.6 interception. Phoenix (53-29) se classe cinquième à l’Ouest. L’absence de Kidd sur blessure fait craindre le pire pour le rendez-vous face au champion sortant, San Antonio, au premier tour. Mais le numéro 1 des Suns se fend d’un triple-double dans le Game 3 (17 pts, 12 rbds, 13 pds), remporté 101-94, et contribue à la qualification des siens 3-1. En demi-finales de Conférence, le sort met Shaquille O’Neal sur la route de l’ennemi juré d’hier… A ce stade de la compétition, Phoenix touche ses limites (1-4). Campagne de playoffs superbe pour l’ex-magicien avec 20.3 points, 4.9 rebonds, 5.7 passes, 1.6 steal et 1 contre sur 9 matches.
Le retour de Kidd annonce forcément des jours meilleurs. Seulement, Hardaway doit repasser sur le billard pour réparer le cartilage du genou gauche. Sa saison est limitée à 4 rencontres. Durant l’exercice suivant, il peut tenir sa place (80 rencontres) mais l’arrivée de Stephon Marbury, échangé contre Jason Kidd, restreint son champ d’action. Passer la gonfle n’est pas la priorité de « Starbury » et son camarade du backcourt est le premier à en faire les frais. Plus grave : l’arrivée de Joe Johnson en février 2002, en provenance de Boston, le relègue sur le banc. Sa production chute à 12 points, 4.4 rebonds et 4.1 passes. Phoenix atteint péniblement les 36 victoires et loupe les playoffs.
Dans les premières semaines de l’exercice 2002-03, l’irrégularité de Johnson permet à Anfernee de réintégrer le cinq majeur. Blessé à la main, il loupe 24 rencontres mais son expérience est la bienvenue dans un groupe qui tente de se reconstruire avec deux valeurs montantes, Shawn Marion et Amaré Stoudemire. Au premier tour des playoffs, Phoenix pousse le futur champion, San Antonio, jusqu’à un Match 6, perdu de deux points (87-85) dans l’Arizona.
Le 5 janvier 2004, Isiah Thomas croit réussir le coup de l’année en faisant venir Stephon Marbury à New York. Penny Hardaway et Cezary Trybanski sont également du voyage. La contrepartie : Howard Eisley, Maciej Lampe, Antonio McDyess, Charlie Ward, Milos Vujanic et deux premiers tours de draft. La discussion entre Isiah Thomas et Antonio McDyess, qui vit une situation intenable à « Big Apple », est passée à la postérité.
- Antonio, j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle pour toi. Tu es transféré. Mais tu pars à Phoenix…
- C’est quoi la mauvaise nouvelle ?
Il retrouve le Shaq 11 ans après
A eux deux, Marbury et Hardaway (9.6 pts, 4.5 rbds, 1.9 pd) ramènent New York en playoffs. Le voisin New Jersey aligne 4 victoires et se qualifie pour le tour suivant. Trahi par ses genoux, Penny ne joue que 41 matches entre 2004 et 2006. Le 22 février, il est cédé à Orlando en échange de Steve Francis. Deux jours plus tard, la franchise de ses débuts le coupe. Anfernee sait sa fin proche. Il n’aura pas 36 occasions d’accrocher ce satané titre. Le 9 août 2007, à 36 ans, il accepte le minimum salarial pour un vétéran afin d’intégrer les rangs du Heat, champion un an plus tôt. Pour la première fois de sa vie pro, Hardaway porte un autre numéro que le 1, en l’occurrence le 17. Et pour la première fois depuis 11 ans, il est réuni sous le même maillot que Shaquille O’Neal… L’histoire aurait-elle une belle fin malgré tout ? Non puisque le 12 décembre, il est coupé après avoir livré 16 matches sans relief (3.8 pts, 2.2 rbds, 2.2 pds). Penny doit se faire une raison. Jusqu’au bout, il attendra un signe du destin. En juillet 2008, en marge d’un match de charité organisé à Miami par Alonzo Mourning, il guette encore une main tendue.
« Je veux une dernière chance dans cette Ligue. Je n’ai pas aimé la façon dont les choses se sont terminées à Miami. Croyez-moi, j’ai encore de beaux restes. »
Cette dernière chance, Anfernee Deon Hardaway ne l’obtiendra pas. Comme LeBron James aujourd’hui, comme Kobe Bryant au lendemain du fiasco des Finales NBA 2004, comme tant d’autres surdoués de la balle orange livrés à eux-mêmes ou à leur sort, d’Allen Iverson à Tracy McGrady, Penny aura expérimenté la difficile condition du soliste sans orchestre. Il mit, par ailleurs, la dégradation de son image publique sur le compte de ses blessures à répétition.
« Ma carrière a incroyablement mal tourné comparé à ce qui a pu arriver à Grant Hill, par exemple. Il ne doit pas essuyer autant de critiques négatives que moi. Grant et moi sommes amis mais j’observe ça avec du recul et je pose une question : en quoi sa situation est-elle si différente de la mienne ? »
Icône avant l’heure, promis prématurément à tous les honneurs, « le nouveau Jordan » eut peut-être le tort d’approcher les étoiles très jeune – parmi les cinq meilleurs joueurs du monde après 24 mois de NBA. Longtemps, selon toute vraisemblance, Orlando ruminera l’invraisemblable échec de deux superstars qui avaient tout pour régner durablement sur la Ligue. Shaq le fit ailleurs, avec deux autres arrières surdoués (Bryant, Wade). Immaturité ? Egoïsme ? Trop plein d’amour-propre chez les deux jeunes coqs du Magic ? A chacun de trancher. Fallait-il attendre autre chose d’une franchise émergeante emportée par la frénésie d’une décennie dorée et qui se voyait déjà en haut de l’affiche à peine placée sur la carte NBA ? A chacun de juger. A la question « Vous avez eu beaucoup de succès à votre arrivée en NBA. Réussir aujourd’hui signifierait-il plus à vos yeux ? », Anfernee eut cette réponse révélatrice, en août 1999 :
« Je le pense. J’étais si jeune à l’époque… J’étais d’abord là pour jouer. Quand nous sommes allés en Finales NBA en 1995, nous ne savions pas exactement pourquoi nous étions là. Aujourd’hui, je sais ce que ça coûte d’atteindre ce stade. Si j’avais encore cette opportunité, je ferais les choses différemment. Nous étions jeunes, nous étions vraiment talentueux mais nous ne savions pas jouer juste, en équipe, d’une certaine façon. Les Rockets avaient une équipe de vétérans et leur expérience a surclassé notre talent. »
Talent gâché, Penny hantera le panthéon des losers sublimes – l’expression peut faire débat – avec son pactole (plus de 120 M$ gagnés en carrière), ses 64 matches de playoffs, ses quatre sélections All-Star et ses trois citations All-NBA. Le souvenir du fabuleux joueur qu’il fut ne saurait masquer le malaise qui empreint le moindre portrait. Pas plus que ces extraits d’une conférence de presse accordée il y a presque deux ans (le 21 août 2008), après le don d’un million de dollars à la fac de Memphis, ne sauraient estomper l’impression amère laissée par ses 14 années passées sur le circuit pro :
« Aujourd’hui est un grand jour. C’est un rêve devenu réalité pour moi qui ai grandi à 10 minutes d’ici. Aller à la fac de Memphis m’a donné l’opportunité de jouer en NBA, de mener une grande carrière, de jouer avec de grands coéquipiers, d’avoir des fans formidables et de grands coaches. Beaucoup de gens m’ont dit que je ne pourrais pas faire ceci ou cela. Je ne les ai pas écoutés. J’ai continué de rêver en grand, j’ai continué d’avoir des objectifs élevés et j’ai accompli beaucoup de choses que beaucoup de gens ne me croyaient pas capable d’accomplir. Vivre mon rêve et revenir ici pour faire quelque chose en faveur du college qui a permis tout ça, c’est inestimable. »
Nous revient aussi cette déclaration de John Gabriel, ex-GM du Magic :
« Nous avions Shaq et Penny. Nous pensions qu’il faudrait venir prendre nos mesures pour les bagues de champions tout au long de la décennie suivante… »
Echec et mat.
Stats
14 ans
704 matches (558 fois starter)
15.2 pts, 4.5 rbds, 5 pds, 1.6 int, 0.4 ct
45.8% aux tirs, 31.6% à 3 points, 77.4% aux lancers francs
Palmarès
All-Star : 1995, 96, 97, 98
All-NBA First team : 1995, 96
All-NBA Third team : 1997
NBA All-Rookie First team : 1994
Champion olympique : 1996